Par Christelle Grauer, VP of Data & Compliance chez Brevo
Au-delà des règles prédéfinies : pourquoi l’IA prédictive surpasse la segmentation statique
La segmentation basée sur des règles prédéfinies est rassurante car elle vous offre un contrôle total. Mais cela peut également ralentir votre croissance. De son côté, l’IA prédictive peut agir plus rapidement et avec plus de précision. Cependant, sans garde-fous, elle peut réduire la confiance des clients et ne générer qu'un engagement superficiel. C’est pourquoi toute décision de segmentation doit répondre à une question fondamentale : contribue-t-elle à l’amélioration de la valeur vie client (CLV) sur le long terme ?
Une segmentation basée sur des règles prédéfinies : le piège de la facilité
De nombreuses équipes continuent de fonctionner avec des segments basés sur des règles fixes : « si le client achète X, envoyer Y ». Cette façon de faire est toujours populaire du fait qu’elle est facilement justifiable et qu’elle donne un sentiment de contrôle aux équipes.
Cependant, si votre objectif est d'optimiser le taux d’ouvertures, de clics et de conversions, ces mêmes règles peuvent se montrer contre-productives. Nous ne pouvons plus égaler la vitesse, la personnalisation ou la réactivité des modèles IA qui apprennent en temps réel en analysant des millions de signaux à la fois. Une segmentation basée sur des règles prédéfinies a toutefois encore sa place, en particulier lorsque vous manquez de données ou avez besoin de garder un haut degré de contrôle. Mais elle montre désormais ses limites.

L'impact pour les clients :
Lorsque la segmentation repose uniquement sur des règles prédéfinies, les clients reçoivent souvent des messages non pertinents. Un ciblage prédictif permet justement de s’assurer que ces mêmes clients ne reçoivent que des communications qui reflètent bien leurs besoins actuels, plutôt que d’anciennes suppositions qui n’ont plus lieu d’être.
Combiner la segmentation prédictive à la justification
Les dirigeants présentent souvent la segmentation comme un choix entre le pouvoir prédictif pur (c’est-à-dire la capacité du modèle à anticiper les résultats) et la justification (la facilité à comprendre et justifier pourquoi un client a été ciblé par un mail). Pourtant, ce n'est pas forcément un choix binaire : tout est une question d'équilibre. Cet équilibre peut d’ailleurs changer et varier en fonction du secteur d'activité.
Si vos clients doivent comprendre pourquoi ils sont ciblés, les approches totalement opaques sont à éviter. Ces modèles ne peuvent en effet pas offrir de justifications transparentes qui vous permettent de comprendre pourquoi un client a été inclus ou exclu d’un segment client.
Vous pouvez cependant privilégier des modèles IA très performants pour des secteurs grand public et riches en données où les exigences de justification sont moins strictes.
Commencez simplement par lister vos objectifs et contraintes, puis ajustez le modèle et le niveau de gouvernance en conséquence. L’optimisation sans confiance est fragile, mais la confiance sans résultats est coûteuse. À vous de trouver le juste milieu.
Comment trouver le bon équilibre :
- Une forte pression réglementaire ? Privilégiez ce que vous pouvez expliquer en utilisant des modèles simples qui vous indiquent clairement quels facteurs ont été pris en compte. Documentez clairement les raisons d'inclusion ou d'exclusion de certaines personnes.
- Faible tolérance aux erreurs de ciblage ? Appliquez des seuils prudents, intégrez une vérification humaine pour les nouveaux segments créés et élargissez leur portée seulement après avoir analysé les résultats (et si vous avez relevé une amélioration positive).
- Un environnement riche en données et très dynamique ? Vous pouvez utiliser des modèles IA, tout en les encadrant de garde-fous clairs (plafonds de fréquence, règles d'exclusion et groupes de contrôle automatisés).
- Les parties prenantes demandent une justification ? Associez chaque nouveau segment à un groupe de contrôle et publiez le gain obtenu avec des intervalles de confiance (et pas seulement les écarts bruts).
L'impact pour les clients :
Un bon équilibre entre précision et transparence crée de la confiance. Vos clients peuvent mieux comprendre pourquoi ils reçoivent un message de votre part, tout en bénéficiant d’offres pertinentes et personnalisées.
Les actes comptent plus que les paroles
Nous avons collaboré avec Alltricks, une marque leader dans la vente d'équipements de cyclisme et d'outdoor. L’objectif ? Essayer de prédire quels étaient les contacts les plus pertinents à cibler pour chaque campagne. Ce projet a permis de révéler plusieurs informations cruciales sur les limites des données déclaratives et la puissance des signaux comportementaux.
Alltricks dispose déjà d’une grande expérience en matière de ciblage basé sur l'IA et connaît la performance que ce type de ciblage peut générer pour une campagne d’emailing. Avant l’utilisation de l’intelligence artificielle, le ciblage reposait principalement sur les centres d'intérêt que les utilisateurs pouvaient déclarer lors de leur inscription. Nos tests ont montré que les centres d'intérêt déclarés à l'inscription étaient des indicateurs d'achat moins fiables que le comportement réel des clients.
Imaginez deux clients : le premier s'inscrit en se disant être intéressé par des chaussures de running. Cependant, il ne consulte jamais ce type d’article. Le second client ne mentionne pas les chaussures de running mais consulte et achète des équipements de cyclisme chaque semaine. Avec la segmentation prédictive, le second client est priorisé car son comportement démontre une intention réelle d’achat.
En passant à la segmentation prédictive, Alltricks n'a pas seulement maintenu ses excellentes performances : elle les a également améliorées. Les campagnes basées sur des prédictions comportementales ont connu une augmentation considérable de l'engagement (entre 30 et 40 %).
Il ne s'agissait pas d'une expérimentation unique : sept mois plus tard, Alltricks utilise toujours la segmentation prédictive dans ses campagnes.
Trois choses importantes à retenir :
- Les achats sont le signal le plus fort. Ils traduisent une intention qui s'est déjà concrétisée en action.
- Les habitudes de navigation représentent la part la plus importante de vos données. Vous aurez 10 à 100 fois plus de visiteurs que d’acheteurs. À grande échelle, ces données aident les modèles d’IA à tirer des conclusions et réagir rapidement.
- L'engagement par email est le signal le moins fiable. Le suivi n’est pas tout le temps fiable. Considérez cet engagement comme une information complémentaire plutôt que comme le moteur principal de vos décisions stratégiques.
L'impact pour les clients :
Un ciblage comportemental permet de proposer aux clients des offres qui les intéressent vraiment, plutôt que des produits pour lesquels ils avaient un jour éprouvé un intérêt. Cela permet aux campagnes d’être plus pertinentes, d’arriver au bon moment et d’être perçues comme moins intrusives.
Les obstacles ne se limitent pas à la qualité des données
Il ne fait nul doute que des données de mauvaise qualité entravent vos performances. Mais trois obstacles souvent sous-estimés déterminent l'adoption durable d’une segmentation prédictive efficace :
- La collecte à la source. Il faut suffisamment d'événements uniques (site web, appli, e-commerce) pour alimenter le modèle IA afin qu'il soit réellement efficace. Assurez-vous également au préalable que les clients ont consenti à la collecte des données (par exemple via un pop-up sur votre site).
- Le ressenti des équipes. Les marketeurs sont, à juste titre, fiers de leur savoir-faire et confier le ciblage à un algorithme peut être perçu comme une remise en cause de leur expertise. Pour apaiser ce sentiment, les responsables marketing doivent expliquer à leur équipe que l’IA vise à éliminer les tâches fastidieuses et redondantes. L'objectif est de leur permettre de se concentrer sur des activités plus stratégiques à plus forte valeur ajoutée.
- La fatigue des clients. L'IA permet un déploiement à grande échelle. Bien qu’utile, cela peut également être dangereux car vos clients pourraient se lasser de recevoir trop de mails, ce qui risquerait de nuir à votre réputation.
L’impact pour les clients :
La segmentation prédictive ne fonctionne que si elle est gérée de manière responsable et qu’elle est alimentée par des données fiables. Lorsque les équipes font attention à leur fréquence d'envoi et à la pertinence de leurs messages, les clients se sentent valorisés plutôt que submergés par des communications qui paraissent déconnectées de leur parcours d’achat.
Privilégiez la qualité à la quantité : CLV > volume
Ce que vous mesurez définit vos résultats. Si votre tableau de bord met en avant le volume d’emails envoyés, vous aurez naturellement tendance à en envoyer plus. Au contraire, s’il récompense la valeur générée, vous développerez des relations plus solides avec votre audience et améliorerez votre rétention client.
Vanity metric : le nombre d'emails envoyés. Cette métrique donne une impression de productivité mais récompense le volume au détriment de la valeur.
Indicateur pertinent : la valeur vie client (CLV). Cette métrique vous indique si votre segmentation augmente la valeur à long terme générée par votre base client (et pas seulement les clics de la semaine). Voici une version simple et pratique que la plupart des équipes peuvent utiliser pour débuter :
- CLV sur 12 mois = Panier moyen × Nombre moyen de commandes par client × Taux de rétention sur 12 mois.
- Suivez cet indicateur par segment client et par tactique appliquée. Si une tactique augmente les clics mais diminue la CLV, c'est qu’elle n'est pas la bonne.
- Lorsque vous ne pouvez pas calculer la CLV, utilisez des indicateurs indirects comme
- Le taux de réachat
- Le revenu par client à 90 jours
- La probabilité d'attrition client
- L’évolution du chiffre d’affaires (après réductions)
L’impact pour les clients :
Lorsque les marketeurs privilégient la CLV, les clients bénéficient d'interactions plus réfléchies qui renforcent leur relation avec la marque. Ils ne sont plus constamment submergés par des campagnes d’emailing envoyées de nulle part.

Arrêtez avec les campagnes de réactivation à froid
L'envoi de campagnes massives aux contacts inactifs peut sembler efficace mais s'avère coûteux en pratique. Cela est dû au fait que les audiences inactives :
- Génèrent davantage de plaintes et de désabonnements
- Déclenchent des filtres qui nuisent à la délivrabilité de tous vos emails
- Faussent les statistiques car les métriques comme le taux d’ouverture ou de clics en provenance de ces listes sont peu fiables.
Une meilleure approche :
- Définissez précisément ce que représente un « contact froid » pour vous ( aucune ouverture / clic / achat depuis 180 jours, aucune activité sur le site depuis 120 jours).
- Mettez en place une campagne de re-permission explicite via des canaux à faible fréquence (par exemple en envoyant un seul email + un SMS si le consentement a été donné), avec une proposition de valeur claire.
- Procédez à la suppression des contacts concernés. Si un contact ne revient pas vers vous, arrêtez de lui envoyer des emails. Il est plus utile de protéger votre domaine et l'audience que vous pouvez réellement servir.
L’impact pour les clients :
Au lieu d’être la cible de spam pendant plusieurs mois, les clients ont une chance de reprendre contact avec la marque à leur propre rythme et selon leurs propres conditions.
Données de navigation : un atout sous-estimé du ciblage prédictif
Les données les plus sous-estimées : les données de navigation web (même celles anonymisées). Ces données sont abondantes et immédiatement accessibles. Lorsqu’elles sont bien exploitées, les données de navigation vous donnent des informations sur l’intention d'achat, même si aucun article n’est ajouté au panier.
Voici comment transformer les données de navigation en signaux de segmentation :
- Collectez le type de page consulté (page d’accueil, page catégorie, page produit), les attributs du contenu (marque, gamme de prix, catégorie) et le contexte de la session (type d’appareil, date, nombre de pages consultées).
- Créez des profils d'intérêt utilisateur simples basés sur leurs habitudes de navigation, puis associez-les à un profil utilisateur connu lorsqu'ils se connectent ou cliquent sur un lien dans un email.
- Appliquez une pondération basée sur la récence. Cela vous assure que les signaux de la semaine dernière n'ont pas plus de poids que ceux d'hier.
- Filtrez les comportements qui s’apparentent à des bots et limitez le volume d'événements à la source.
Parallèlement, considérez le taux d'ouverture avec prudence. Les fonctionnalités de protection de la vie privée et les contrôles de sécurité automatisés peuvent en effet l'impacter. Utilisez les ouvertures comme un outil de diagnostic et non comme un KPI. Optimisez pour les résultats qui comptent vraiment : clics, ajouts au panier, achats et, sur le long terme, la CLV.

L’impact pour les clients :
Lorsque le ciblage s'appuie sur les habitudes de navigation, les contacts reçoivent des suggestions qui correspondent à leurs intérêts actuels. Cela les aide à découvrir des produits qui les intéressent réellement, plutôt que des promotions génériques.
Lecture recommandée : 9 cas d'utilisation de la CDP pour les retailers
Une transition qui s'accompagne de responsabilités
La segmentation prédictive n'est pas un processus isolé. À mesure que les équipes passent d'une logique basée sur des règles prédéfinies à une approche axée sur les résultats, elles héritent également de nouvelles obligations, que cela soit envers les personnes qu'elles ciblent, les données qu'elles traitent ou encore les écosystèmes qu'elles influencent par leurs actions.
Éthique : optimisez pour les résultats, pas pour la surconsommation
Si vous récompensez uniquement l'engagement à court terme, le système le favorisera davantage (et même lorsque cela pousse les individus à la surconsommation). Pour éviter ce scénario, mettez en place des garde-fous comme :
- Des limites du nombre d’emails envoyés
- Des modèles qui permettent d’identifier et de prévenir la fatigue client
- Des objectifs qui valorisent la valeur générée sur le long terme (plutôt que la dopamine procurée par le prochain clic sur votre email)
Confidentialité : d'une simple case à cocher à un avantage concurrentiel
Partez du principe que la réglementation sur la confidentialité continuera de se durcir et que les clients cacheront de plus en plus leurs habitudes de navigation. Collectez le maximum de données nécessaires, centralisez-les dès que possible et préservez-les par le biais d’événements anonymisés. Même si l’on ne gagne pas la confiance de ses clients en gérant correctement leurs données, on peut la perdre très rapidement lorsque ce n’est pas le cas.
L'informatique quantique : la prochaine frontière ?
La prochaine avancée majeure ne viendra peut-être pas de la création d’un nouvel algorithme, mais de l'informatique quantique. Cette dernière consiste à appliquer les principes quantiques pour résoudre des calculs que notre technologie actuelle ne peut pas encore gérer. Les ordinateurs quantiques permettent de traiter de nombreuses possibilités simultanément, ce qui permet d'optimiser des millions de variables (calendrier des campagnes, offres, canaux utilisés) d’une manière actuellement impossible. Cette technologie n'est pas encore disponible pour les marketeurs, mais certains CMO, comme Alex Craddock de Citi, commencent déjà à parler de l’utilité de l’informatique quantique pour l'hyper-personnalisation des campagnes.
Que faire à l’heure actuelle :
- Gardez un modèle de données simple, cohérent et adaptable aux avancées technologiques.
- Investissez dans des pipelines en temps réel. L'utilisation de fonctionnalités adaptées sera toujours utile dans le futur, peu importe le modèle utilisé.
- Fixez-vous des objectifs qui reflètent la valeur que vous souhaitez générer sur le long terme (CLV, baisse de la fatigue client, etc.). Ne vous focalisez pas seulement sur le nombre de clics.
Ce qu'il faut retenir
L'IA prédictive ne consiste pas à s'en remettre au petit bonheur la chance. L’objectif est de définir les résultats qui comptent le plus pour vous afin de structurer et configurer vos données, modèles et garde-fous en conséquence. Lorsqu’elle est utilisée correctement, la segmentation prédictive permet aux équipes de ne plus courir après les clics. Elle peut désormais se concentrer sur l'amélioration de la valeur générée par chaque client sur le long terme. Les résultats sont prioritaires et le suivi de la CLV permet de garantir l’objectivité de leur stratégie. L'objectif de cette nouvelle façon de faire est clair : une segmentation plus rapide, plus pertinente et plus respectueuse des personnes qu'elle cible.
Les marketeurs qui adoptent cette approche vont au-delà de la simple optimisation de leurs campagnes publicitaires : ils bâtissent des systèmes capables de capter l'attention, de protéger leur réputation et de générer une croissance durable pour l’entreprise. L'IA prédictive devient alors un outil commercial puissant, sans pour autant être intrusive pour le client.







